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deux natures vivaient dans un malentendu perpétuel.

Le plus fort n’était pas le plus inflexible, et, malgré son ton de commandement et ses habitudes de tyrannie, le vieillard redoutait son fils autant que celui-ci redoutait son père. Louis, avec sa roide candeur, avait pris trop au sérieux les doctrines autoritaires d’un esprit où l’âpreté simulait la force, et Gothon, instinctivement, en savait plus long sur ce point.

C’était en irritant les appréhensions du vieillard, aussi bien qu’en servant sa passion dominante, qu’elle avait pris sur lui un véritable empire. Pour elle, depuis longtemps, M. de Pontvigail avait perdu ce prestige mêlé de terreur qu’il exerçait généralement, et dont l’impression s’était accrue chez son fils de toutes les susceptibilités d’une nature impressionnable à l’excès. Ce fut donc pour Louis un immense effort que de tenir la parole donnée à Lucien. Mais il l’avait donnée, et, de plus, Lucien était le frère de Cécile.

Donc, le lendemain de la halte nocturne au sommet du coteau, après le repas du midi, Louis, au lieu de sortir avec les travailleurs, comme d’habitude il se hâtait de le faire, demeura assis en face de son père. M. de Pontvigail avait adopté l’usage du patriarcat féodal, où maître et serviteurs mangeaient à une table commune ; mais, bien qu’il rappelât avec complaisance à ce propos le souvenir de l’ancienne coutume, ce n’était, on le devine, que pour mieux surveiller l’appétit de ses commensaux et la durée du repas.