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point le fruit de l’imagination humaine, idéalement éprise du bien qui la sert, mais ne pouvant le réaliser ? De quelle utilité lui sont-ils, ces grands modèles ? À quoi bon cet idéal, dont nul ne veut qu’en tableaux ou en citations ? À quoi bon ces paroles d’amour, de paix, de justice, tombées depuis si longtemps sur le monde, et que les rhéteurs seuls ont ramassées pour les vendre ? Il y a des milliers de siècles que de toutes parts on a dit aux hommes : Aimez-vous en frères. Et ils s’égorgent encore ! Toutes les vertus ont été proclamées, recommandées ; mais la guerre, la débauche, la délation, sont encore et toujours des institutions sociales. On a flagellé tous les vices et tous les travers ; mais ils sont encore debout et se portent bien. Les types marqués au front dès l’antiquité sont là, toujours, parmi nous, et ce sont eux, méprisants et triomphants, qui mènent le monde, en se moquant de l’humble vertu.

« L’ignorance, l’injustice, la perfidie, l’abrutissement des masses, ne sont-ils pas toujours les mêmes ? L’épaisseur du limon humain s’est accrue sur la terre, voilà tout ; et c’est en vain qu’à certaines époques des élans inouïs ont remué le monde, tout est retombé dans le sourd grouillement des ruses, des avidités secrètes, des satisfactions honteuses, et, sans se lasser jamais, à cet éternel précepte : Sois juste ! la masse répond : Jouissons !

« Oui, la vertu, le bien, existent, mais isolément, et l’on dirait par hasard ; ils existent, comme la fleur que le ver coupe et flétrit, comme l’innocente colombe que le milan dévore, — afin d’être la proie du