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l’envi sa délicatesse native et la pureté de ses sentiments. — Hélas ! le plus beau moment du rêve n’est jamais loin du réveil.

Après le dîner, M. Darbault, prenant le bras du jeune peintre, l’entraîna dans le jardin.

« Mon cher ami, lui dit-il, j’ai vraiment sur les épaules un faix trop lourd à porter. Je suis tout seul chez nous à compter avec le possible, et chacun des miens a ses exigences qui me rendent fou. Arthur m’a coûté les yeux de la tête pour son éducation ; le voilà maintenant en bonne passe ; mais, pendant encore deux ou trois ans, il me coûtera. Il lui faut ceci, cela, des gants, des chaussures, des livres, l’argent de poche, et, pour aller chez ce duc, tout une toilette bourgeoise, parce que ce n’est pas de bon goût, dit-il, de porter l’uniforme hors de l’école. Ce garçon me ruine, et avec cela Dieu veuille qu’il n’ait pas de dettes ! J’en tremble parfois ; les jeunes gens sont fous. Il faut ! disent-ils ; c’est indispensable. Voilà le grand mot à tout propos : Il faut que le petit bourgeois trouve moyen de faire aller son fils de pair avec des fils de duc. Est-ce possible ? Eh bien pourtant, je l’ai fait, car sans cela Arthur m’aurait reproché de nuire à son avenir, et j’espère bien qu’effectivement cette haute amitié lui servira. J’avoue qu’on n’aime pas à se voir infériorisé, puisque nous sommes tous égaux ; mais, à la manière dont on l’entend, il faut convenir que l’égalité coûte cher. Marius, lui, va devenir étudiant en médecine, et le diable m’emporte si je sais comment je viendrai à bout de l’entretenir à Paris. Avec tout cela, nous aurions besoin à la maison d’une économie rigoureuse ;