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au nom même de Cécile, de sages amis empêchèrent une rencontre. Quand les affaires eurent été réglées et qu’il eut été constaté que l’héritage se montait à peine à quatre-vingt mille francs, les deux orphelins, tout meurtris de tant d’épreuves si inattendues et si cruelles, se retirèrent ensemble dans un petit appartement de la rue d’Assas, où s’entassa malaisément le mobilier paternel, et confièrent leur ménage aux soins d’une seule bonne.

Après les premières visites de deuil, peu d’assidus leur restèrent. Ils ne virent bientôt plus que quelques gens honorables qui n’étaient pas tous de leurs intimes, mais qui, par dignité personnelle et par intérêt pour ces jeunes gens, les visitèrent comme autrefois. C’était relativement une solitude ; Cécile, cependant, attristée et pensive, n’en demandait pas davantage. Quant aux amis particuliers de Lucien, qui étaient presque tous des artistes, il continua de les voir au dehors et de les recevoir dans son atelier.

Mais Lucien s’aperçut bientôt qu’il n’avait plus pour eux le même prestige. C’était un cœur franc que ce jeune homme, et une intelligence vive ; mais il avait jusque-là trouvé la vie si facile qu’il n’avait pris la peine de réfléchir que tout juste assez pour avoir de l’esprit dans le monde. Cela n’allait pas très-loin et ne lui servit qu’à déblatérer avec grâce tout d’abord contre les obstacles ; puis il s’en irrita. La difficulté jusqu’alors s’était écartée de lui ; quand il la vit en face, lui montrant les dents et résolue à lui barrer le passage, il entra en fureur, lui jeta tout à la tête et se désespéra. Cette cou-