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l’heure du dîner, la femme de chambre, en allant prévenir M. Marlotte, le trouva mort dans son cabinet.

Ce fut un coup terrible pour les deux enfants, qui adoraient leur père et, depuis qu’ils étaient au monde, s’en remettaient à lui de tout soin. Ils ne sentirent d’abord que la perte de cette tendresse et de cette intelligence pure qui les entouraient comme d’une chaude et lumineuse atmosphère ; puis ils s’aperçurent qu’ils venaient en même temps de perdre le bien-être auquel ils étaient accoutumés, et ils durent s’avouer que leur vie, jusque-là si riante et si facile, devenait tout à coup troublée, pleine d’obstacles et d’inquiétudes. Cette royauté intellectuelle qu’exerce tout homme éminent, et dont sa famille partage les douceurs, dans les illusions naïves du droit divin, ne devait plus exister pour eux que vis-à-vis de quelques fidèles, courtisans du malheur, amants du souvenir. Cependant, Lucien et Cécile, aussi confiants l’un que l’autre, eussent été longtemps à se rendre compte de leur situation, sans un fait brutal qui la dévoila, comme un éclair montre un abîme. Le jeune avocat normand épousait l’influence et les relations du conseiller bien plus que Cécile Marlotte. Il reprit sa parole.

Si profond fut l’étonnement de Cécile, qu’il domina tout autre sentiment. Ce jeune cœur blessé laissa bien tomber quelques larmes ; le premier choc passé toutefois, elle s’écria :

« Quel bonheur que je n’aie pas été mariée à cet homme ! »

Lucien, furieux, avait provoqué le parjure ; mais,