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que la poésie débordât de son coeur et de sa main, il fallait qu’il en trouvât autour de lui dans les choses. Ce n’était donc point l’homme qui pouvait affronter les épreuves d’un mariage pauvre avec une femme d’esprit inculte. Cependant Lucien était incapable de tenir compte en se mariant de considérations étrangères à l’amour. Il était de ces êtres dont les qualités et les défauts concourent à peu près également à rendre le bonheur difficile. Cécile le comprenait bien, et sa sollicitude n’en était que plus éveillée pour ce frère, maintenant son unique amour.

Elle avait tout loisir de se plonger dans ces inquiétudes ; car Lucien, presque tous les soirs, s’absentait et ne rentrait qu’à neuf ou dix heures. Il s’arrangeait toujours pour se trouver sur le chemin de Rose, quand elle revenait de sa journée, et si elle était seule, il l’accompagnait jusqu’à proximité des Maurières. La jeune fille acceptait son bras ; ils causaient de riens avec un sérieux extrême et une émotion visible. Ces entrevues furtives devenaient cependant de plus en plus rares ; l’automne approchait, la nuit tombait de bonne heure, et pour peu que le temps fût sombre et le chemin long, Deschamps, — à moins qu’il ne s’attardât au café, — venait à la rencontre de sa fille et lui servait d’escorte.

Lucien, dans ce dernier cas, évitant de se montrer, prenait à travers champs et se trouvait aux Maurières à leur arrivée. Il proposait à Deschamps une partie de dominos, qu’il avait soin de perdre le plus souvent ; Rose s’asseyait près de la table avec son