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touchant peu. Ce portrait prenait tour à tour des expressions différentes.

Évidemment, l’artiste à ces délicieux contours voulait ajouter l’âme, et, chose merveilleuse, il le faisait. La figure semblait par couches successives s’imprégner de vie et recéler en elle les profondeurs de l’être animé. Du reste, dans l’atelier, silhouette, ébauche ou copie, sur la toile ou sur le papier, Rose était partout.

Ces révélations d’un amour qui semblait sérieux causaient à Cécile tout à la fois de la surprise et de l’inquiétude. Elle était certaine que près d’elle et sous ses yeux son frère ne rêvait point à une séduction ; mais songeait-il bien à épouser une fille sans éducation, une paysanne ? Cette supposition paraissait au premier abord presque inadmissible à Cécile, surtout peut-être parce qu’elle lui déplaisait. D’autre part, le caractère exalté de Lucien lui donnait à craindre : quelle que fût l’idée qu’il embrassât, il s’y livrait toujours tout entier, sans réserve, jusqu’à ce que vînt la déception, d’autant plus amère. Mais, en ce cas, la déception, si elle arrivait trop tard, serait le malheur.

Ce n’était point une femme telle que Rose que Cécile avait rêvée pour assurer le bonheur de son frère. Nature vive et mobile, il avait besoin que l’amour, en même temps que le charme de sa vie, en fût l’appui. Il n’était pas de ceux qui savent lutter le visage riant, et puiser leur joie dans leur courage. Il fallait savoir relever ses défaillances, en lui montrant la vie sous des aspects nouveaux. Un milieu harmonieux lui était en outre nécessaire, et, pour