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« — Mais j’en ai besoin, moi, que vous le soyez ! C’est gentil ce que vous dites ! Est-ce qu’une jolie fille devrait être si égoïste ?

« Il voulut alors l’embrasser ; mais la fille le repoussa en s’écriant :

« — Finissez, monsieur Anténor ; vous savez bien que je ne suis pas de celles qui jouent comme ça !

« — Oh ! parce que ce n’est pas Justin ! répondit le jeune Plichon avec dépit ; vous n’êtes pas si insensible pour lui, mademoiselle Mignonne !

« Je n’en entendis pas davantage ; un peu plus bas la haie se brisa sous un effort, et Anténor, pénétrant dans le champ où je me trouvais, s’éloigna sans me voir, en écrasant sous ses pas le chaume des sillons et en sifflotant sur un ton aigu. »

J’ai voulu citer sans interruption toute cette page, parce qu’on y peut voir comment, dans ce livre, un joli tableau n’attend pas l’autre : il y en a là quatre ou cinq de suite, qui se succèdent avec une variété agréable et naturelle. Et cela ne s’arrête pas là ; on en trouve d’autres encore, tout de suite après.

Mais, par-dessus tout, la beauté du livre, c’est la passion douce de l’amour naissant peinte avec une naïveté suave et pénétrante ; ce sont les émotions élevées de deux âmes dignes l’une de l’autre qui se rencontrent dans l’ardeur du bien, dans l’idéal de la justice et dans une généreuse émulation à en réaliser ce qu’on peut ici-bas.

Homme ou femme, l’auteur est une âme généreuse, un esprit libre et un talent déjà très-grand, qui est en train de croître encore.

Émile Deschanel.