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linges sanglants, pâle, n’ayant de vie que dans ses yeux, brillants d’un éclat extraordinaire, il eut un de ces accès d’éloquence lyrique, comme les Italiens en ont encore et comme nous n’en avons guère plus. Il exalta l’amour, ses joies, ses forces, les miracles qu’il accomplit, peignit en traits de feu le bonheur de deux amants qu’un père consent à unir et qui l’en récompensent par le spectacle d’une union parfaite et féconde ; il dit que l’amour était le dieu, l’âme et le créateur du monde, que nul n’avait le droit de toucher, mais d’adorer seulement. Il tendait vers le père de Grazia la seule main qu’il pût mouvoir ; tout son aspect était saisissant autant que ses paroles. Mes yeux, malgré moi, s’emplissaient de larmes, et je vis le barbare, sensible à la poésie comme tous ses compatriotes, vivement ému.

— Don Antonio, dit enfin Effisio, permettez-moi d’espérer encore ! Suspendez votre décision ! Laissez-moi le temps de vous parler ; je suis sûr de vous convaincre ! Vous, le père de Grazia, vous ne pouvez être méchant… Ne précipitez rien !… vous en auriez des remords ; car vous me tueriez !… Je ne puis vivre sans Grazia !… je ne savais pas encore combien je l’aimais ; je le sens à cette heure où je suis menacé de la perdre. Ah ! vous aussi, je le sais, vous avez été amoureux de votre femme et vous avez eu peine à l’obtenir ; vous avez connu ces douleurs, don Antonio, ayez donc pitié !…

— Euh ! je n’en serais pas mort, dit le mari de la Francesca, en haussant les épaules. Il est vrai qu’on ne sait cela qu’après. Ce que c’est que d’être jeune ! Mais tout ça passe, vois-tu. Allons, calme toi, mon pauvre Effisio, je t’assure que je t’aime et t’estime bien. Tu es un garçon vaillant, quoiqu’un peu léger de tête ; tu es d’une bonne famille, et si tu avais eu seulement 50,000 fr., vrai, je t’aurais préféré à tout autre.

André Léo.

(À suivre.)