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rage, qu’on peut coudoyer, à qui même on peut serrer la main !… Bons bourgeois le jour, et bandits la nuit ! Brr… ! C’est un envers de votre hospitalité, que je n’avais pas prévu.

Effisio rougit, et je craignis de l’avoir blessé, tant il était jaloux de l’honneur de son pays. Il ne trouvait certes pas cela bon, et l’avait noblement prouvé ; cependant il éprouva le besoin de l’excuser.

— Que voulez-vous, me dit-il, en s’efforçant de sourire, nous sommes des descendants de ces Iliens, restes des Troyens errants sur les mers, de ces Grecs Ioniens, auxquels les oracles avaient promis une liberté éternelle en Sardaigne, et qui, réfugiés dans les montagnes, luttèrent sans jamais se rendre, d’abord contre les Carthaginois, puis contre les Romains. Ceux-ci, irrités de ne pouvoir ni les vaincre, ni les séduire, les appelèrent barbari, d’où le centre de la Sardaigne porte encore le nom de Barbargia. Jamais nos peuples ne se sont ralliés à la civilisation, et ils gardent encore quelque chose de ces habitudes de rapine à main armée, qu’ils furent autrefois obligés d’adopter pour vivre dans leurs rochers arides, et qui étaient fort légitimes alors contre les voleurs de leur pays. Il y a bien longtemps de cela ; mais les Barbariani, nos rudes montagnards, n’ont pas d’histoire. Les siècles ont passé sur eux comme un jour. Ils sont encore au lendemain de la conquête d’Asdrubal, ou de Manlius. Ajoutez que jusqu’ici nous ne connaissons guère de la civilisation que ses lois fiscales. Enfin, je dois vous dire que cette terrible facilité à prendre la vie de son semblable, ou sa bourse, tend à s’effacer. Beaucoup de familles aujourd’hui renoncent à la vendetta, même au cas d’un de ces affronts qui la recommandaient autrefois cous peine de déshonneur.

Je ne voulus point le chicaner là-dessus et m’efforçai plutôt d’occuper d’idées agréables son esprit impatient de l’attente, et qui de moment en moment le devenait davantage.