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des propos couraient, avec de petits rires, et les dernières toisons disparaissaient sous les doigts des éplucheuses. Subitement, elles se levèrent d’un mouvement général, nettoyèrent en un clin d’ail les traces de l’ouvrage, et se prirent par la main.

On allait danser, fin obligée de la fête. Mais cette fois, le joueur de launedda manquait. Je vis alors un groupe de trois ou quatre hommes se placer au milieu de la cour ; quelqu’un de la foule prenant à son tour la guitare, vint se joindre à eux, et les chanteurs, penchés les uns sur les autres, la main sur la joue, d’un seul côté, comme pour réunir leur voix en un son unique, nasillèrent l’air habituel de de la danse, en l’accompagnant des pieds et de la tête. Ce n’était pas entraînant pour des gens gâtés par les orchestres des capitales ; mais cela marquait la mesure d’une façon originale, après tout vivante. Les danseuses entourèrent le chœur de leur ronde, et les jeunes gens coururent se placer entre elles. Grazia se trouva entre Effisio et Tolugheddu, et moi j’allai prendre une main de Raimonda, quand déjà Nieddu tenait l’autre. Elle me regarda en face de ses yeux profonds et je me plus à la considérer de près : elle était, comme disent les Italiens, affascinante. Son corps souple et fort avait des lignes fuyantes de sirène ; sa gorge, brune sous la guimpe blanche, attirait ; ses lèvres, ombrées d’un duvet noir, avaient un souffle chaud qui causait des frissons ; le nez était fort, mais droit et bien fait ; les yeux et le front superbes. Pourquoi ne souriait-elle pas ? Il y avait sur elle en effet comme une expression fatale, due sans doute à la persuasion où elle était de son mauvais sort. J’eusse voulu la rassurer, la désabuser ; mais nous pouvions à peine échanger quelques paroles ; elle comprit ma sympathie et m’en remercia par un regard très-doux cependant, que je n’eusse pas attendu de ces yeux brûlants.

C’était d’autant mieux à elle qu’elle eût pu