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tient à l’extrême monotonie du chant lui-même. Là, comme en Sicile, j’ai entendu ré péter, une heure durant, la même phrase musicale, accompagnée du même accord. Les paroles changeaient seules et devaient être improvisées. C’est le divertissement des réunions de famille ou d’amis dans le peuple. Tandis que l’un tient la guitare et chante, les autres, écoutent, jouent ou chuchotent. Nul ne connaît une note de musique, ce qui n’empêche nullement de jouer de la guitare et de chanter.

Le plus curieux fut après cela une joute entre deux improvisateurs, qui, tels qu’autrefois les héros de Virgile, se répondirent alternativement en vers de huit syllabes parfaitement rhythmés. C’étaient un homme d’âge mûr et un vieillard, qui tous deux avaient dans ce genre une réputation faite. D’avance ou les applaudit ; et l’on s’empressa de les écouter.

Le débat roulait sur les agréments et les inconvénients du graminatorgi. Le premier improvisateur traitait son sujet avec une emphase lyrique ; l’autre plaisamment, et celui-ci excitait fréquemment les rires. Je comprenais un peu le premier ; pas du tout le second, dont le langage était plein de sous-entendus et de jeux de mots ; j’entendais seulement les vers tomber en cadence, avec une surprenante régularité. La guitare, de son côté, soulignait le rhythme de ses éternels accords, et tout cela me plongeait dans une sorte de torpeur, douce et somnolente, quand je vis, en face de moi, les sourcils de Nieddu se froncer et un éclair passer dans ses yeux. En même temps, un sourire courait dans l’auditoire ; les yeux de Raimonda brillaient à la fois de colère et de confusion et elle rougissait.

André Léo.

(À suivre.)