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cœur et d’action que littérateur ; mais il répondit :

— Il l’a pris dans quelque recueil ; il n’est pas fort inventeur, Antioco Tolugheddu.

Je fis silence pour écouter Grazia, qui devait répondre.

Confuse et rougissante, mais obéissant à l’usage de ces sortes de réunions, elle se mit à chanter en vers de même mesure, c’est-à-dire de huit syllabes :

    Je ne suis reine ni belle,
    Et j’aime mieux pour mon cœur
    L’amitié de mes compagnes
    Que tous ces beaux compliments.

Les applaudissements de ses compagnes la récompensèrent, et ceux des hommes ne lui manquèrent pas. Quant à moi, qui percevais à peine le sens des paroles, je ne pouvais juger de la poésie ; mais je devinais que l’auditoire n’était difficile, ni sur la rime, ni sur l’expression. Toutefois, je constatais avec surprise le goût poétique de ces montagnards du pays le plus inculte de l’Europe [1]. Je remarquais de plus en plus dans leur langage une foule de tournures classiques et d’expressions imagées. On sentait, dans ce pays fermé à la civilisation moderne, un par-

  1. C’est une chose surprenante, pour ceux qui ne sont pas habitués à voir dans les autres pays les campagnards peu doués en facultés intellectuelles, et encore moins en imagination, d’assister en Sardaigne à ces tournois poétiques, que paysans et pasteurs, complètement privés d’instruction, soutiennent avec chaleur, quand quelque fête publique ou privée leur en fournit l’occasion. Le campegnatore du village, personnage important, car aucune réjouissance ne peut avoir lien sans son concours, se tient au milieu des combattants ; il invite au combat par ses préludes ces Tyrcis et ces Corydons qui chantent alternativement. La mesure la plus usités est l’octave. La plus grande preuve d’esprit consiste à s’emparer des dernières paroles de son adversaire et de les retourner à son avantage, soit qu’on exalte la nymphe du jour, soit que la lutte porte sur un sujet désigné. On ne saurait dire que, dans ce déluge de syllabes, on n’entende pas les énormités les