et n’écrasent pas l’attelage plus que la charge du chariot ; donner du fumier à ces terres appauvries, qui sont bien riches de puissance native, puisqu’elles donnent toujours sans rien recevoir. S’il se peut, replanter vos bois, mettre partout des arbres, soit à fruits, soit autres, qui donnent la fraîcheur au sol desséché ; laisser le fusil et prendre la bêche. Dans dix ans, vous aurez quintuplé vos récoltes ; dans vingt ans, vous serez riche.
— Oh ! dit-il, vingt ans ! — avec le sourire indolent de l’homme du Midi, pour qui, si le lendemain existe, l’avenir est presqu’un rêve.
— Dans vingt ans vous en aurez quarante-trois, c’est-à-dire que vous serez en pleine force, en pleine maturité. Pensez-vous que la vie alors vous soit indifférente ? Et ne sauriez-vous en outre imaginer, vous qui n’avez pas une âme féroce, que vous éprouverez autant qu’un autre, et peut-être beaucoup plus, la passion du bonheur de vos enfants ?
— Si je me marie, dit-il mélancoliquement.
Ce serait un moyen de vous marier. Dites vos plans à de Ribas ; commencez-les sous ses yeux ; il croira à votre fortune, et il sera fier de vous.
— Je ne sais pas ; il est routinier, vous dis-je, et pour lui la seule occupation digne d’un homme est de chasser, monter à cheval, surveiller les travailleurs. Vous lui prouveriez qu’il peut décupler son revenu en se consacrant à l’agriculture, qu’il n’en ferait rien ; et pourtant il souffre d’être pauvre. En tout cas, si je prenais la bêche, comme vous me le conseilliez tout à l’heure, il regarderait cela comme un déshonneur. Grazia elle-même, peut-être, serait de son avis.
— Grazia est intelligente et bonne, c’est-à-dire capable de beaucoup comprendre, surtout si c’est vous qui l’enseignez.
(À suivre)