Page:Leo - Grazia.djvu/51

Cette page n’a pas encore été corrigée

lité, sans aucune défiance ; je la suivais dans ses travaux de ménage, quand, vêtue seulement d’une chemise et d’un jupon, elle allait dans la cuisine bluter la farine. Sa taille dégagée du corset, n’en paraissait que plus pure, et elle me plaisait à voir, au milieu de ce travail, comme une Grecque d’Homère.

Les Sardes ont l’habitude de diviser la farine en plusieurs qualités, dont ils font plusieurs sortes de pains. Le plus blanc est celui de l’étranger ou des invités, qu’on ne consomme qu’en dernier lieu, si l’occasion a manqué de le servir. Du seuil, je regardais Grazia, assise au milieu de cinq ou six corbeilles et d’un pareil nombre de tamis, agiter de ses bras nus l’ustensile léger, autour duquel s’élevait un fin nuage ; un de ses pieds nus, d’un blanc plus doux que celui de la farine, s’allongeait de mon côté ; nous ne pouvions guère, à cause du bruit, nous parler ; mais de temps en temps, levant les yeux sur moi, elle me souriait, tout en jetant furtivement un coup d’œil en arrière, pour voir si l’absent ne venait point.

Je l’étudiais avec un double intérêt, celui du bonheur d’Effisio, et celui qu’inspire tout être bon et gracieux, à qui l’on est redevable d’attentions constantes.

En l’absence d’Effisio, notre conversation était fort nourrie. Elle m’apprenait des mots, des locutions sardes et me questionnait sur la France. Au repos, silencieuse, elle semblait absorbée dans une sorte de pensivité douce ; mais dans la conversation elle s’animait ; elle avait des curiosités, des réflexions qui montraient un esprit très-capable de s’étendre, très-avide de connaître un monde plus vaste. C’était à ses yeux un des charmes d’Effisio qu’il eût connu ce monde et en eût reçu l’empreinte. Toutefois, que ce fût par nature ou par préjugé, elle n’allait jamais loin dans cette voie. J’essayai plus d’une fois de la pousser hors de son milieu moral et intellectuel ; elle cédait à l’impulsion facilement, mais à peine s’en aperce-