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allâmes ensemble, mon ami et moi, et fûmes assez bien reçus, excepté par l’aïeule, qui tout le temps de notre visite fila sa quenouille sans dire un mot. J’appris ensuite qu’elle partageait le sentiment, exprimé par son fils, que la mort de Murgia était pour eux une défaite, puisque leurs adversaires avaient eu le dernier mot. Ce coup l’avait affaissée. Mais don Antonio me parut au fond plus soulagé que chagrin d’être délivré de son terrible intime. Nous avions pu remarquer dans son accueil un peu d’embarras, mais une cordialité sincère. Grazia s’était transformée. Au moment de l’adieu, elle voulut m’embrasser, et tout à coup, faisant sur sa timidité un violent effort, dont ses joues s’empourprèrent, elle dit tout haut :

— Avant que vous partiez, mon ami, je veux vous affirmer une chose, c’est que rien désormais ne m’empêchera d’épouser Effisio. Une pareille déclaration dans la bouche de Grazia causa une vive surprise à ses parents et à nous-mêmes. L’aïeule cessa de filer ; dona Francesca fut ébahie, et don Antonio, étonné au point qu’il ne se mit pas en colère, s’écria :

— Tu es folle ! — en regardant sa fille, comme s’il venait de la voir se changer en une autre.

— Ne vous fâchez pas, mon père, dit-elle ; j’ai assez souffert, et je veux vous dire maintenant où vous me poussiez : le jour de mon mariage avec Pietro, je me serais donné la mort. Vous savez, père, c’est depuis la mort de Murgia que vous avez retrouvé votre poignard ? C’était là tout mon courage ; mais je l’avais bien ! À présent, je serai plus forte. — Bien tard, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle, d’un air doux et confus, en nous regardant Effisio et moi.

De Ribas était hors de lui-même. Était-ce d’émotion, en apprenant à quel désespoir il avait réduit sa fille ? Était-ce de colère pour son autorité méconnue ? Lui-même sans doute ne le savait pas. Il proféra plusieurs invocations sonores au diable et au Saint-fromage (Santo-cazzo) ; jura qu’il n’avait plus rien à dire contre ce mariage ; mais que ce n’était pas ainsi qu’il fallait parier, et que Grazia lui manquait de respect ! Effisio le calma, en l’embrassant, et en lui promettant le respect et l’affection d’un fils.