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à flots, et l’Oliénais, qui avait apporté une cruche de sa cave, en offrait lui-même à tous.

À mesure que se précipitaient les rasades, la parole montait, vive, passionnée, bruyante ; mais contenue dans les limites d’une bonne humeur fraternelle, et je ne vis de sombre que la figure de Raimonds, qui rôdait autour de la table en portant des regards inquiets sur Antioco Tolugheddu. Celui-ci ne s’en inquiétait guère. Il vidait son verre à grands coups, mangeait et parlait comme deux, tout entier à la joie de la fête et à la satisfaction d’être lui-même un des plus beaux et des plus riches garçons du pays. C’était évidemment Grazia qui l’occupait, et les regards qu’il jetait sur elle devenaient plus vifs à mesure qu’il buvait davantage. Il voulut bien me favoriser de son entretien. Je lui demandai s’il venait souvent à Nuoro.

— Oh ! souvent, me dit-il, tout ce printemps j’y suis venu danser les dimanches.

— Vous préférez donc les beautés de Nuoro à celles d’Oliena ?

— Eh ! cela se peut. Il y a de jolies filles à Nuoro. Il y en a aussi à Oliena. On fait ce qu’on peut.

— En voici une là-bas, dis-je en lui indiquant Raimonda, qui a une tête remarquable.

— Vous trouvez ? me dit-il un peu surpris ; eh bien, ma foi, je vois que notre goût s’accorde.

— Ah ! serait-ce votre fiancée ?

Il haussa les épaules avec dédain.

— Non pas !… Il est vrai que je l’ai trouvée jolie…

— Et que vous le lui avez dit ?

Il se mit à rire.

— Ce qui ne lui a pas déplu ; car elle vous regarde beaucoup, il me semble.

— Ah ! ah ! vous observez bien, monsieur le Français. Eh bien ! puisque vous la trouvez belle, faites-lui la cour, je ne m’en fâcherai pas.