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— Elle ! cette fille ! Arrière !… Comment ose-t-elle s’approcher de moi ?

De telles paroles, et le geste d’horreur à la fois et de mépris qu’eut la veuve d’Antioco, rendirent à Raimonda, interdite un moment, toute son énergie.

— Et pourquoi n’oserais-je pas, dit-elle croyez-vous valoir mieux que moi ? Vous qui ne savez que pleurer et geindre, et rendre malheureux ceux que vous aimez ? Moi aussi, je sais haïr, mais je sais aimer ! Mon amant se dit le plus heureux des hommes ; don Effisio peut-il en dire autant ?

Je ne vis jamais combien les luttes où l’orgueil se mêle donnent d’aigreur à l’être le plus doux, et quelle est l’âpreté des haines locales. Brisée et désespérée l’instant d’avant, Grazia se trouva debout et superbe pour répondre à sa rivale détestée ; un flot de sang vint à ses joues pâles, et je vis dans ses yeux l’étincelle de la haine sarde.

— Heureux ! dit-elle avec un sourire cruel, lui, votre amant ! Je ne connais point d’homme dont le sort soit plus misérable. Est-il heureux le bandito de la montagne, qui n’a d’autre abri, sous la pluie et sous la neige, que des rameaux dépouillés, qui manque de pain et vit de rapines, ou de la charité des pauvres pasteurs ? Est-il heureux l’homme chargé de chaines et couché sur la paille, qui mange le dur pain des prisons ? Tel fut longtemps le bonheur de l’amant d’une fille effrontée, qui ose se vanter d’aimer celui dont elle a gâté et perdu la vie ! Et tout cela n’est rien encore… Le bonheur que goûte cet amant n’est rien près de celui qui l’attend !…

Il était trop facile de comprendre cette allusion cruelle, dont l’ail et le geste de Grazia, fixés sur la terre, rendaient le sens plus terrible. Raimonda frémit et sourit à la fois :

— Tel qui croit dompter son ennemi, dit-elle, est dompté par lui. Qui sait si Grazia de Ribas, veuve Tolugheddu, fiancée de Pietro