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Le moment s’était trouvé favorable ; car Grazia ne tarda pas longtemps. Je la vis descendre le chemin, sa cruche sur la tête, légère et rapide malgré son abattement et sa lassitude. Elle s’arrêta près de moi, tout essoufflée, et comme je voulais parler, ce fut elle qui m’imposa de l’entendre, avec beaucoup de hâte et de trouble, en regardant si elle n’était pas suivie.

— Mon ami, me dit-elle, je ne suis plus libre ; tous mes mouvements sont épiés ; j’ai vainement essayé d’écrire à Effisio ; on se méfie de moi ; et cet homme surtout, cet homme que je déteste et qui maintenant partage notre maison à titre de fiancé !… Il suit tous mes pas ! Je suis folle de cette obsession ; elle me révolte et m’épouvante ; je ne me sens plus la force d’agir, de penser !… Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne serai jamais la femme de cet homme. Dites cela à Effisio ; dites-le-lui bien, qu’il n’ait pas un instant de doute ! Cela n’est pas possible, je ne serai jamais la femme de Pietro !

— Grazia, lui dis-je, ce n’est pas aux conseils du désespoir qu’il faudrait s’en tenir, mais à ceux de la raison, à ceux de l’amour. Trouvez seulement un moyen de sortir la nuit ; l’un ou l’autre, tour à tour, nous serons là et nous partirons tout aussitôt !…

— Impossible ! reprit-elle, il se défie. Ne rodez pas autour de la maison, car il vous tuerait. Prenez garde ! Vous ne connaissez pas cet homme, c’est le démon !… Il me tient comme sa proie et me croit trop faible pour lui échapper. Cependant il ne m’aura pas ; on ne disposera pas deux fois de moi-même ! Dites-le bien à Effisio !

Je la regardais, voyant bien qu’elle songeait au suicide, et me disais : — Aura-t-elle vraiment cette énergie ? — Elle devina sans douté ma pensée, car elle tira de son sein un petit poignard damasquiné, que j’avais vu dans les armes de don Antonio, et me dit :

— Voilà ce qui me permet de vivre près de cet homme, sans en devenir folle de terreur, et ce qui me délivrera d’une existence