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— Je pars, don Antonio, dit mon ami ; mais prenez garde à votre conduite vis-à-vis de Grazia : car je sens en moi plus de votre sang que vous ne croyez, et vous me trouveriez plus d’énergie pour défendre les vivants que pour venger les morts.

Il avait failli se jeter sur don Antonio, quand il l’avait vu lever le bras sur sa fille.

— Et maintenant, me dit-il, je ne sens plus mon mal, je n’ai que, le sien ! La laisser à ces barbares, mon cœur en est broyé cent fois par minute. Oh ! c’est trop souffrir !…

Son visage convulsé m’effrayait ; je le fis asseoir sur son lit et lui frottai les tempes d’éther. Palissant plus encore, il s’étendit tout à fait.

— Ô ma pauvre conscience, murmura-t-il, remplis-moi donc tout entier ! Remplis tout ce cœur qui se révolte ! Car je n’ai plus que toi !

Hélas ! il disait vrai. Je cherchais et ne trouvais plus d’espérance. Le moyen extrême, celui qui nous eût servis autrefois, si Grazia avait eu la force de l’accepter, un enlèvement, celui-là même n’était plus possible. Son remords l’eût suivie, la pauvre femme. Un peu plus forte de volonté maintenant, à quoi cela servait-il, puisqu’elle n’était plus avec nous, dans ce débat, dont elle était la victime ? Elle aimait Effisio plus que jamais ; elle abhorrait Pietro de Murgia, de toute l’horreur qu’elle éprouvait pour un nouveau lien sans amour ; mais elle voulait venger son époux assassiné ! Dès lors, que faire… Tout devenait impossible !…

— Non, m’écriai-je enfin, il y a encore quelque chose à faire : il faut démasquer Pietro de Murgia, et je l’essaierai ! Don Antonio n’aurait-il qu’un doute, il devrait attendre, suspendre tout.

— Le cerveau de don Antonio, me dit Effisio, de cette voix à la fois éteinte et vibrante, qui me faisait tant de mal, le cerveau de don Antonio n’admet pas le doute !…

Il était si désespéré que ce fut moi qui le fis penser à aller, cette nuit-là, voir si dans le creux du mur, il ne trouverait pas une lettre de Grazia. Il y avait une seule ligne :

— « Demain, à minuit et demi, sous le chêne.

» Grazia. »
André Léo.

(À suivre.)