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si le bonheur en ce monde a un nom précis. Oh ! que Grazia ne pense-t-elle, avec nous ! Sa souffrance est la moitié de la mienne.

Anéanti par cette crise, il oubliait l’heure ; ce fut moi qui dus la lui rappeler et je le conduisis à la porte de Ribas, où nous nous séparâmes.

Effisio trouva dans la salle commune don Antonio, qui se leva en le voyant, avec une solennité mystérieuse, et l’invita à le suivre. Ils montèrent ainsi dans la chambre que j’avais occupée, où se trouvaient l’aïeule et Grazia. Don Antonio laissa Effisio avec les deux femmes, et s’en retourna. Tout cela semblait fort insolite à Effisio. Il osa demander à Grazia, en italien, de quoi il s’agissait. Mais ce ne fut pas elle qui répondit.

— Parle la langue de tes pères, mon fils si elle n’est pas trop dure pour tes dents, lui dit la terrible vieille, en dardant sur lui un regard plein de menaces, en même temps qu’elle roulait son fuseau sur ses genoux. Nous sommes Sardes ici, et n’avons pas le cœur étranger.

— L’Italie n’est pas une étrangère pour nous, mère Effisia ; elle est notre seconde patrie ; et la Sardaigne est la première pour moi comme pour vous.

— Alors, tu feras bien de le montrer mieux.

Grazia semblait atterrée, et les regards qu’elle jetait sur son amant n’annonçaient à celui-ci rien que de fatal. Des pas s’approchèrent ; la porte s’ouvrit, et don Antonio rentra, suivi d’un pastore, qu’Effisio connaissait de vue, et de Pietro de Murgia. Le pasteur avait l’attitude inquiète et embarrassée d’un homme qui remplit à contre-cour un devoir, dont il ne peut se dispenser. Pietro de Murgia affectait beaucoup de gravité ; mais on voyait pétiller dans son œil quel- que chose de la joie du chasseur qui tient sa proie. Tous les trois s’assirent, et don Antonio, prenant la parole et s’adressant au pasteur :

— Salvatore Delitala, voici un de mes parents, que vous connaissez bien pour un homme d’honneur, et qui doit, lui aussi, être instruit de l’affaire. Il va vous donner sa parole de ne pas vous nommer, et que vous n’avez rien à craindre. Donne ta parole, Effisio, et tu apprendras une chose utile à savoir.

Effisio ne voulut pas refuser, bien que ce fût avec répugnance qu’il donnât ainsi sa parole, sans savoir ce dont il s’agissait.

— Bien ! fit don Antonio. Et maintenant,