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science de quoi ? La conscience de qui ? Celle de don Antonio ? ou la mienne ? Comme si toutes les consciences étaient égales !

— La tienne évidemment ; car chacun vit surtout en soi. Et je sais parfaitement que toutes les consciences ne sont pas égales,

— Ce qui revient à dire qu’il n’y a que des opinions toutes plus ou moins fausses, et que sacrifier sa vie à cela, vois-tu !…

— Appelle la chose comme tu voudras ; mais je te défie de ne pas tenir compte de ta propre opinion, et de pouvoir te passer d’elle.

— Moi ! Il y a des moments où j’en ainsi peut…

Il éclata d’un rire méprisant et sarcastique, qui me fit peur ; car je le voyais tout disposé à succomber dans l’épreuve qui l’attendait le soir même. Calme en apparence, mais profondément ému, je lui répondis :

— Je vais te prouver le contraire. Quoique tu en dises, il y a une conscience générale, qui monte de l’humanité comme une atmosphère et qui va en s’épurant. Tu ne sauras nier que le 19e siècle soit extrêmement supérieur au moyen-âge et qu’il ne vaille cent fois mieux vivre en ce temps-ci qu’en celui-là, grâce précisément à une connaissance du droit et du devoir plus avancée et plus répandue ? Jusqu’ici, malheureusement, cette atmosphère n’est largement respirée que par ceux qui peuvent gravir les hauteurs. On a trouvé pourtant le moyen de la mettre en bouteilles, c’est-à-dire en livres et de la porter ainsi en plus d’endroits de la sorte, il ne s’en perd rien, et elle monte toujours. Or, quand on a goûté à cette ambroisie, ceux, bien entendu, qui ont le palais sensible, les aliments grossiers répugnent et l’on n’en veut plus. Mais, trève de comparaisons. Nous sortons de la bestialité pour aller à l’intelligence. Eh bien ! de même qu’un ancien riche sera certainement le plus malheureux des pauvres, tout homme qui a goûté d’une conscience plus pure, d’une verila plus grande, s’il y renonça et s’abaisse, ne fera plus que souffrir. Il sait qu’il a mal fait, qu’il s’est avili ; il revoit sans cesse la hauteur d’où il est tombé : et la honte de cette chute, et le regret de la vie plus, noble et plus large qu’il a perdue, le tourmentent, et retirent pour lui toute saveur à la jouissance pour laquelle il a sacrifié le bien supérieur des satisfactions morales, la joie de sa conscience. — De sa conscience, plus ou moins différente de celle des autres, mais