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me quitta et se mit à glisser, comme un oiseau de l’ombre, dans les plis du mont. Je la suivis à distance, jusqu’au mur du jardin, qu’elle franchit, — mur de pierres sèches peu élevé. Et dix minutes après seulement, n’entendant aucun bruit, je me dis : elle est sauvée !

Oui, l’amour est égoïste, car Effisio avait obtenu un autre rendez-vous.

Elle y risquait chaque fois la vie et l’honneur ; mais il brûlait de la voir, de poser ses lèvres sur ces douces lèvres, qui lui étaient rendues, de chercher dans l’ivresse de l’amour un refuge contre la douleur. Je ne l’approuvai point, et de mon côté je lui fus très-désagréable, en lui disant la promesse que j’avais dû faire à Grazia.

Pour amener celle-ci à changer d’avis, je comptais plus sur les lettres qu’ils échangeaient que sur de telles entrevues. Dans un écrit, c’est toujours la pensée qui règne ; dans ces entrevues d’amour, l’ivresse de la vue, du baiser, ne laisse place à aucun raisonnement. Après cela, peut-être avais-je tort, et la passion toute seule et sans arguments, arrive-t-elle mieux à ses fins ? Cependant, s’il était possible que l’amour seul obtint de Grazia ce qu’elle considérait comme un parjure, elle ne serait pas moins malheureuse de l’avoir commis ; il valait donc mieux à mon sens essayer de la convaincre de la souveraineté de la conscience, et que, son vœu étant immoral, elle devait l’abandonner. Je communiquai ces pensées à Effisio et l’engagent vivement à faire de ses lettres à Grazia une initiation pour elle à l’idée moderne.

— Profite, lui dis-je, de ces moments où l’amour embrase l’être de bonne volonté, d’intelligence même, pour rapprocher de toi celle que tu aimes, la faire penser avec toi. Plus tard, ce serait moins facile ; d’ailleurs, c’est aujourd’hui surtout qu’il faudrait pouvoir vous entendre.

André Léo.

(À suivre.)