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dences et les probabilités, l’avocat général concluait pleinement à la double culpabilité de l’accusé, au sujet des deux morts violentes de Pepeddo et d’Antioco. Il suivait la même main dans ces deux actes ; il développait la pensée du criminel sur ce même ton caverneux que l’on connaît, et qui après avoir fait le tour de l’Europe, a aussi débarqué en Sardaigne. Avec le tact habituel, il découvrait les voies de la Providence et conjurait les jurés de sauver la société, comme on la sauve partout et chaque jour depuis tant de siècles.

Pendant ce temps, je regardais l’accusé, non sans émotion. Le malheureux avait dû beaucoup souffrir en captivité ; car il avait maigri, son teint était blême, ses yeux s’étaient creusés ; mais il avait le masque impassible, qui est le décorum des races peu civilisées, et gardait seulement cet air mélancolique et rêveur qui lui était propre. Son œil clair et doux, souvent attaché avec une tendresse infinie sur Raimonda, sur sa mère et ses sœurs, assises aux bancs des témoins, n’avait rien de ce trouble qui semble démontrer une conscience coupable ; on eût dit bien plutôt, à le voir, un homme injustement accusé, confiant dans le sentiment de son innocence, un martyr de quelque noble cause. Selon l’usage chez ce peuple qui, plus que les Italiens encore, met sa joie et sa dignité dans la richesse du vêtement, l’accusé portait des habits neufs, grâce auxquels l’élégance de sa taille et sa prestance habituelle étaient mises en relief. Cette toilette et cet air sérieux et poétique faisaient un étrange contraste avec le lieu où il se trouvait : une sorte de cage de fer, sans plafond, étroite comme celle d’une bête fauve, où l’on enferme les accusés, et dont le gendarme stationnant à la porte avait mis la clef à la baguette de son fusil.

En promenant ses yeux sur l’auditoire, Nieddu me vit et m’adressa un salut imperceptible, que je lui rendis ostensiblement. Je m’étais assis dans l’enceinte réservée, sur