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ves pour ainsi dire double. Mais cette dernière attaque pouvait la fournir ; en dépit de l’odieuse précaution prise à l’égard du mort, on arriverait bien à savoir dans quelle, famille, à cinq ou six lieues à la ronde, manquait un homme ; les blessés, d’autre part, seraient connus et interrogés, ainsi que leurs familles ; et de tout cela pouvaient surgir des témoignages contre Pietro de Murgia, et d’autres indices s’ajouter à ceux que je possédais.

Nous suivions le chemin de montagne qui va de X… à Nuoro, et non pas la route, qui est plus longue. La nuit tombait. Cabizudu avait eu raison dans son impatience de partir ; car en pareil pays, et après de telles aventures, nous n’eussions pas du voyager de nuit. Sur les instances de mon écuyer j’en restai donc là de mes rêveries et bâtai l’allure de mon cheval.

Nous étions environ aux deux tiers du chemin, au fond d’un ravin, qu’il nous fallait remonter pour arriver à Nuoro, quand de derrière des roches, qui barraient presque le sentier, une voix impérieuse nous cria : fermi ! (halte-là !) Je saisis mon fusil.

— Ne tirez pas ! signor, ne tirez pas, s’écria Cabizudu, ou nous sommes perdus !

En un instant, nous fûmes entourés, désarmés, saisis. Mais alors, je vis avec surprise et non sans plaisir que nous avions affaire à un peloton de soldats.

— Nous prenez-vous donc pour des grassatori  ! leur demandai-je ?

— Parfaitement ! me répondit le sous-officier, d’un air à la fois ironique et majestueux.

— Mais je suis Français.

— Ah ! bah ! tant pis ; nous avons ordre d’arrêter tout ce qui vient de ce côté.

— Il fallait vous y prendre plus matin.

Et, pour me venger, je leur fredonnai l’air des carabiniers d’Offenbach, ce qui leur fut très-indifférent, car ils n’étaient pas assez lettrés-est-ce lettrés qu’il faut dire ? — pour comprendre l’allusion.