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me suis adossé contre le mur en face d’elle : je ne pouvais me lasser de la contempler, avec ses bras nus jusqu’au coude, et que la farine légère saupoudrait. Elle me demanda pourquoi j’étais venu. Je la regardai avec reproche :

» — Laissez-moi dire cela aux autres, répondis-je.

» Elle rougit encore, baissa les yeux et ne dit plus rien. Nous restâmes longtemps ainsi. On n’entendait que le bruit léger du tamis, secoué par sa main. Des pensées douces et tristes me remplissaient la tête et je voyais son beau sein ému se soulever. À la fin, elle a rompu le silence pour me parler de toi et je lui ai lu la plus grande partie de ta lettre. Elle a dit :

» — Il ne m’écrit pas, à moi. Dites-lui que j’en suis jalouse.

» — Ah !… Mais alors, c’est moi qui serai jaloux de lui !

» Elle a de nouveau haussé les épaules, avec un léger sourire.

» — Dites-lui que je l’aime bien !

» — Oh ! méchante !… Et à moi, que me direz-vous ?

» J’avais saisi son bras… alors elle sembla se réveiller d’un rêve, et je la vis fixer sur moi ses yeux plus noirs, pleins d’une sorte d’effroi :

» — Effisio, laissez-moi. Taisez-vous ! Ces propos sont de trop. Vous me faites rougir de moi-même. Est-ce là ce que j’avais promis ?

» Elle était si agitée que je n’ai pu lui dire tout ce que je pense. Et pourtant je suis trop irrité de lui voir accorder tant d’empire sur elle encore ! et un si religieux souvenir à cet homme, qui l’a ravie à elle-même et à moi, pour contenter sa passion, et sans se soucier d’être aimé !… Il faudra pourtant que je le lui dise !… Parce qu’il est mort de mort violente et cruelle, en voilà-t-il assez pour le parer de toutes les vertus, et pour surexciter dans l’esprit d’une femme l’idée du devoir