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son travail. Effisio, pendant ce temps, s’était approché, nous prîmes des chaises. Il s’assit un peu en arrière ; ils n’avaient pas même échangé le bonjour. Grazia ne regardait que moi, ou bien ses regards souffrants se jetaient de l’autre côté, où il n’était pas. Lai, pale et les nerfs contractés, se tenait tout raide. Elle qui voulait parler, avoir une attitude, jetait des phrases sans suite, et ne répondait à rien de ce que je lui disais, parce qu’elle ne l’entendait pas.

Ne sachant plus que dire, je me tus ; nous tombâmes tous les trois dans le silence. Ils ne s’étaient pas vus, — l’attito ne comptait pas ; car ce jour-là, elle surtout, mais nous-mêmes aussi, n’avions dans les yeux qu’une seule vision, celle de ce cadavre terrible. — Ils ne s’étaient pas vus depuis le jour où il l’avait cherchée, pour qu’elle acceptât par un signe sa proposition de fuir avec lui, et où, détournant la tête, elle n’avait répondu qu’en essuyant une larme. Ils ne s’étaient pas parlé depuis la nuit, où elle était venue, pieds nus, se jeter sur le lit du malade et le. couvrir de caresses, de larmes d’amour. Et depuis ce temps… pauvre femme !… elle avait été par force infidèle ! elle avait donné à un autre les caresses qui n’étaient qu’à lui ; la religion de leur amour avait été à jamais flétrie ! C’était là leur pensée en se revoyant, et ils n’en pouvaient avoir d’autre. Elle était en eux… ils la lisaient, la voyaient l’un chez l’autre, sans se regarder. La pauvre jeune femme n’y put tenir ; ses mains, cessant de tourmenter la navette, retombèrent sur ses genoux ; elle baissa la tête et ses larmes se mirent à couler, limpides, silencieuses, mais d’une saisissante éloquence. Ah ! ce n’étaient point là les larmes d’une veuve, mais celles d’une amante. Ce n’était point la signora Tolugheddu qui regrettait son époux ; mais Grazia, la fiancée d’Effisio, qui pleurait sa virginité ravie.

Nous le sentîmes si bien que pour moi l’émotion me prit à la gorge, et qu’Effisio mit sur son visage ses deux mains tremblantes.