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rette traînée par des bœufs, et que suivait par derrière une femme, dont nous entendions par moments retentir la voix irritée ; dans la charrette, un homme assis, immobile.

— C’est un prisonnier ! me dit Effisio. Saisis de la même pensée, sans nous la communiquer, nous revînmes sur nos pas, afin de nous trouver sur le passage du convoi. C’était lui, Nieddu ! À la pose un peu inclinée de sa tête fine et mélancolique, à la ligne abaissée des épaules, sous le capotu, nous le reconnûmes d’assez loin, et j’éprouvai alors deux mouvements contraires : l’un d’intérêt et de pitié pour cette victime d’un amour et d’un préjugé funestes, qui, tombée entre les mains de la justice, allait expier son crime ; l’autre, de répulsion pour l’auteur d’un meurtre cruel, dont je venais de voir sous mes yeux l’horreur étalée. Je regardai Effisio ; il fit volte-face, satis mot dire, et je le suivis. Nous ne pouvions pas saluer l’assassin et nous ne voulions pas l’insulter.

La charrette avait passé, quand sur un éclat de voix nous nous retournâmes ; c’était bien Raimonda, cette femme qui, pieds nus dans la poussière, suivait le char, en jetant aux vainqueurs de son amant des rugissements de haine. Elle était haletante, souillée de poussière, brisée de fatigue, ainsi que le témoignait l’abattement visible de ses membres, et cependant elle allait de l’avant à l’arrière du char, comme une fauve dont on a enlevé les petits : ici, adressant à Nieddu un regard, une parole d’amour ; là, insultant les carabiniers, qui la menaçaient sans pouvoir l’intimider.

— Les malheureux ! dis-je en soupirant.

— Oui ! les malheureux ! répéta Effisio.

Il paraissait vivement agité et resta silencieux quelques instants ; puis, me prenant par le bras et marchant serré contre moi, d’une voix presque basse, il me dit :

— Et pourtant cette capture me délivre d’un grand danger.