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fanaux, ou brillaient de blanches clartés prises à la lune. Rizzi me parlait avec abondance de la Sardaigne, qu’il ne connaissait pas, mais dont il avait beaucoup entendu dire par Effisio, pays pas tout à fait antédiluvien, mais peu s’en faut, encore jonché des monuments d’une antiquité sans histoire. Il me décrivit les nur hags, me parla de menhirs, me dépeignit le paysan sarde, immobile au milieu des civilisations successives écroulées autour de lui, encore vêtu de la mastruca décrite par Cicéron, portant encore le sagum romain, armé du couteau à la ceinture, et ne quittant jamais son fusil, même à cheval ; ce fusil, tantôt instrument de chasse, avec lequel il abat dans les forêts le cerf, le daim, le moufflon, le sanglier, tantôt instrument de justice, avec lequel il venge son honneur, ou satisfait sa rancune ; car le Sarde ne reconnait pas de tribunaux.

— Oui, me disait-il, elle doit être curieuse à visiter, cette Sardaigne, qui, située aux portes de la France, de l’Espagne et de l’Italie, est plus inconnue que la Chine ; qui autrefois grenier de Rome et dont Polybe, Varron, Strabon et même Horace, vantent la fertilité, que les poëtes romains appellent favorite de Cérés et mère des troupeaux ; dont la population sous Claude s’élevait à cinq millions, est devenue un désert de verdure, parsemé de 600,000 habitants sur 23,483 kilomètres carrés de surface ; moins de cinquante familles de pâtres y possèdent une province. Pays de cocagne et de malaria, aux terrains fertiles, aux eaux poissonneuses, aux bois giboyeux, où le cultivateur, maigre et misérable, ne peut récolter assez pour payer le fisc et voit sa cabane vendue pour quelques sous ; les paysans s’y vêtent d’or et de velours, et couchent pêle-mêle sur des nattes, jetées autour du foyer sans cheminée. Pays d’hospitalité et de jalousie, de bravoure et de servitude, où l’on donne sa vie pour sa vengeance et où les gouvernements ont toujours raison.

— Décidément j’irai la voir, dis-je.