Page:Leo - Grazia.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi faite, que le meurtre lui semble au premier abord la conséquence légitime du meurtre, et qu’elle prend la passion de la colère pour celle de la justice. Après des milliers de siècles d’humanité pensante, nous en sommes encore là, et nos tribunaux appliquent encore la loi du talion, aussi bien que ces incultes montagnards de la Gallura. Donc, moi aussi, devant ce malheureux jeune homme assassiné, en entendant les cris de cette mère désespérée, grisé par ces pleurs, ces gémissements, par ce terrible spectacle, le sang-froid m’avait abandonné, et je les comprenais trop bien pour pouvoir m’indigner contre eux. Seule ma raison souffrait, luttant contre ces magies.

Nous voyant seuls, je me tournai vers Effisio :

— Sortons, lui dis-je, nous…

Mais je m’arrêtai, le regardant : il était livide, la sueur coulait de son front ; son regard était voilé. En ce moment, de Ribas arrivait à nous :

— Et toi ? dit-il à Effisio d’un ton de reproche, tu ne viens pas jurer avec nous ?

— Ne voyez-vous pas qu’il se trouve mal ? répondis-je.

Nous prîmes Effisio par les bras et l’emmenâmes dehors. Sous l’influence de l’air frais, il se remit et nous reprîmes bientôt la route de Nuoro, où nous arrivâmes sans avoir échangé une parole le long du chemin.


XIV

Il est des paroles malsonnantes, parce qu’elles expriment des pensées hors de saison, et que la délicatesse repousse, lors même qu’elles s’imposent. Pendant les jours qui suivirent, ni Effisio ni moi nous ne parlâmes de Grazia ; de partir, pas davantage. L’avenir, même le plus proche, semblait étranger à nos préoccupations. Je finis par déterrer quelques bouquins ; Effisio, qui ne lisait guère, s’occupa de ses terres, de ses colons, de cho-