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comme un jeune chêne, et que j’avais fait si fort et si beau !… Ce n’était pas pour la mort que je l’avais élevé !… Je m’attendais qu’il remplacerait son père, et serait père lui-même de fils beaux et vaillants. Où est-elle maintenant notre maison ?… Elle est avec lui dans la tombe ! J’ai deux filles ; mais chacune d’elles a quitté la maison pour suivre son mari. Elles ne portent plus le nom de notre famille ; elles élèvent les fils d’autres maisons. Antioco était notre orgueil, notre espoir : c’était un Tolugheddu… C’était mon fils bien-aimé !… Quand je le voyais passer au milieu des autres, le plus beau de tous, mon cœur sautait dans ma poitrine et me disait : Tu es sa mère ! Que cela est beau d’avoir un fils !…

Antioco, lui disais-je, donne-moi donc des petits-enfants qui te ressemblent et que je puisse presser encore sur mon cœur et bercer sur mes genoux, comme je te berçals autrefois. Je sens mon tablier vide ; car tu es trop grand maintenant pour t’y asseoir… Ô mon fils ! mon fils !… je t’avais élevé pour la vie… après ma mort ! Et tu es là mort devant moi !…

Elle se jeta sur le cadavre, le toucha de ses lèvres et se redressa en jetant un cri :

-Il est de glace maintenant, ce front autrefois si tiède ! Oh !… qui glacera le meurtrier ?…

Le jour, dit alors l’aïeule des Ribas, le jour où le gant sanglant est tombé au milieu des noces, j’ai courbé la tête en disant : « L’insulte et le malheur sont sur nous ! » Depuis, toutes les fois que je filais ma quenouille, je priais l’ange de la mort : — Prends les vieux, lui disais-je, et non pas les jeunes. Moi, j’ai soixante-quinze ans, je suis prête, je n’ai plus que de la laine à filer, et ils ont eux des berceaux à faire. Mais à peine mes yeux se fermaient-ils, et ma main cessait-elle de tourner le fuseau, que je revoyais le gant sanglant ! Que la malédiction soit sur celle qui l’a jeté et sur celui qui a porté le coup ! Maudit soit le meurtrier d’Antioco !…