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D’autres aussi venaient reprendre en moi la place qu’ils y avaient occupée, avec ce charme de plus, dont le souvenir, cet artiste, enveloppe les êtres. Et Nieddu ? Aucune nouvelle de lui ne nous était parvenue. Était-il encore dans la montagne ? Pauvre poëte ! doux rêveur ! condamné par ses préjugés et son amour à la destinée farouche d’un bandit et d’un meurtrier ! Et cette fatale Raimonda, héroïne faite pour les luttes de patrie ou de véritable honneur, qui se consumait dans une étroite haine ! Et toi, petite Effisedda, déjà inquiète d’amour ? Et vous, magnifique et têtu don Antonio ! Et Cabizudu ! J’éprouvais un grand plaisir, même à l’idée de revoir Cabizudu ! C’est qu’au fond, pendant près de quatre mois que j’avais vécu parmi ces curieuses populations, je m’étais attaché à elles. Elles avaient leurs défauts et leurs qualités ; mais à regarder ceux-là, je les trouvais pleins d’excuses. Ils étaient sales, c’est fort vrai ; mais si pittoresquement habillés ! de si belle prestance ! En somme, une belle race (la montagnarde), fine et forte, et qui n’a rien de la lourdeur de nos paysans du Nord. Ils sont paresseux peut-être ? mais qui ne l’est pas peu ou prou dans le Midi ? Et d’ailleurs, c’est leur sobriété qui paye leur loisir. Ils donnent tout à la parure ; c’est un goût d’artiste. Ils sont cruels pour les animaux et tyranniques pour les faibles ; mais toute l’humanité passée, dont ils vivent encore la vie, est ainsi faite, et ce mal vient d’une ignorance, dont ils ne sont point responsables. Ils sont vindicatifs ; mais ils savent exposer leur vie pour obéir à leur idéal d’honneur. En somme, la civilisation bâtarde et fausse qui les envahit les énervera sans les moraliser, et…

J’en étais là de mon monologue, quand une colonne de fumée, pleine d’acres odeurs, m’interrompit. Nous entrions dans Nuoro, et, beau trait de sauvagerie, qui retombe sur la municipalité plus que sur les habitants, on avait mis le feu à l’un des dépôts de fumier, qui encombrent chacune des