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— Eh bien, repris-je, il s’agit de savoir qui tu y rencontreras. Voilà le danger.

Malgré ses efforts, Effisio avait rougi, il n’en mit que plus de vivacité à se défendre :

— Qui s’écria-t-il, qui !… la femme del signor Antioco Tolugheddu ? Voilà ce que tu veux dire ? Eh bien, ce nom-là c’est tout. Est-ce qu’on peut aimer la femme d’un autre ? — Quand on l’a aimée auparavant ? Non ! non !… Tout est flétri ! mon cœur est mort d’une telle blessure et il ne revivra pas ! Cetle que j’aimais est morte aussi. Je l’eusse aimée dans sa tombe avec moins d’amertume — et plus de danger. — Rassure-toi ; si cette rencontre dont tu parles, et qui est fort improbable avait lieu, je n’éprouverais d’autre impression que celle des souvenirs, le chagrin que, toujours, cause le spectacle d’une mort, d’une destruction, voilà tout !… Rassure-toi, te dis-je, la femme d’Antioco Tolugheddu, n’est plus, ne sera jamais plus rien pour moi… qu’une parente.

Je n’avais rien de mieux à faire que le croire et l’approuver.

Pour moi, en approchant de Nuoro, j’éprouvais ce sentiment si humain que nous inspirent les lieux où nous avons vécu, les êtres avec lesquels nous avons échangé des impressions, et qu’un peu d’absence, chose étrange ! rend plus intéressants et plus chers. Quand, arrivés sur le plateau, les premiers édifices, de loin, frappèrent ma vue, moi qui n’étais revenu qu’avec regret, le cœur me battit. Grazia ! pauvre Grazia ! femme d’Antioco Tolugheddu, que devenait-elle ? Les préjugés qui l’avaient poussée à subir une telle situation, l’aidaient-ils à la supporter ? Sans doute elle vivrait sans joie, mais bientôt peut-être sans effort, et deviendrait plus tard une mère de famille comme tant d’autres, attachée aux siens, vivant de leur vie et mélancoliquement heureuse, ou à peu près. Il me venait un ardent désir de la revoir, bien qu’à cause d’Effisio ce fut impossible. Elle me tenait au cœur, comme une sœur malheureuse et charmante. Pauvre Grazia !