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fait qui puisse être comparé à vos exploits. S’il y avait ici un simple pasteur, qui eût passé sa vie à traire les vaches ou les brebis, lui demanderions-nous son histoire ? Nous avons vécu dans nos familles, nous avons couru le monde, en chemin de fer, ou en bateau à vapeur. Tout ceci n’a rien qui puisse vous intéresser.

— Mais vous êtes Français, me dit-il ; tout le monde parle de la France, nous ne la connaissons pas ; il parait que c’est un pays où il s’est passé de si grandes choses, et dernièrement des choses terribles. Parlez-nous de la France.

J’avoue que mon chauvinisme fut touché, que je répondis longuement, et non sans émotion, aux questions qu’ils m’adressèrent, et que je me plus à les passionner de mes récits. Qu’on me pardonne cet égard pour des bandits !

Dans l’état d’ignorance et de préjugés traditionnels, où vivent encore les montagnards de la Sardaigne, il serait injuste de ne voir dans les banditi que des malfaiteurs odieux ou vulgaires. Ces peuples pasteurs, qui dormaient depuis des siècles au sein des civilisations antiques, doivent en ce moment passer de force, violemment et douloureusement, de leur état primitif à la civilisation du dix-neuvième siècle, que leur expliquent seuls la prison, la potence ou le bagne. Ce ne sont pas leurs prêtres, la plupart dépravés et agents d’une doctrine arbitraire et surannée qui peuvent les éclairer. L’école est là, plus qu’ailleurs, ce qu’elle est partout : lettre sans esprit, corps sans âme. Il n’est donc pas permis de les juger sur ce qu’ils n’ont pas reçu, et ne sauraient deviner. Si leur préjugé d’honneur est faux et barbare, il n’est pas du moins égoïste, et ils lui sacrifient sans balancer leur vie et leur repos.

Il était près de dix heures ; nous allâmes chercher nos chevaux, qui paissaient près de là attachés à des arbres :