Page:Leo - Grazia.djvu/222

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Je ne les ferai pas, me suis-je dit, non ! c’est trop injuste. Il y a seulement dix ans, les gens de chez nous et ceux d’Orgozolos s’en allaient en plein jour chercher fortune dans les campidani (plaines), et moi, pour avoir emprunté une pauvre jument… Non, c’est trop fort !

» Il y avait dans la foule, comme on me reconduisait en prison, ceux d’Orune, venus pour témoigner, et quelques-uns de Sallove, que je connaissais bien, et ils s’étaient tous mis ensemble sur mon passage. Arrivé à eux, je leur dis :

» Attention ! les camarades ! je fais le plongeon.

» Ils se jettent sur moi comme pour me prendre, mais bien pour empêcher les carabiniers de me rattrapper. Je file ! ils me suivent, et font si bien, que je m’échappe, et qu’ils font courir les carabiniers du côté opposé à celui que j’avais pris. Plus d’un de Nuoro aurait pu parler, qui n’a rien dit. Bah ! tout le monde ici a le cœur noble et ne veut pas perdre le prochain pour ces petites choses. La nuit, j’étais dans la montagne, et l’on ne m’a pas repris. »

— Oui, dit le Maccione, d’un air où le mépris se mêlait à l’excuse, assez étrangement, c’est là toute son affaire ; il n’a pas même tué un carabinier.

— Ça pourra venir, dit l’homme en grommelant.

— Et toi ? demanda Effisio à un jeune homme, placé près de lui, et qui riait, en montrant les dents blanches d’un fauve.

— Moi, je suis fils d’un brave contadino (paysan). Mon père avait 60 hectares de terre, qu’il travaillait de son mieux et nous. l’aidions ; mais en ce pays-ci mieux vaudrait ne pas travailler, puisque tout est pour l’esatore (percepteur) et rien pour nous autres. Le bien de mon père valait neuf à dix mille francs ; il nous rapportait à tous de quoi manger, mais guère plus, et chaque année cependant c’était 250 francs qu’il fallait payer