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nous autres. Nous ne supportons pas les in- jures ; ce qui nous est le plus cher, c’est l’honneur !

Celui qui venait après, un homme à l’air, louche et maussade, nous dit :

Un soir, j’étais allé à pied à Nuoro ; car je suis d’Orune. Et j’étais bien las quand, en revenant, je passai près d’une tanca, où paissaient plusieurs chevaux. Ils vinrent au bord du mur pour me voir, et il y eut une jument, une jolie bête, ma foi, qui avança la tête par-dessus le mur. Je me mis à penser : En voilà une qui ferait bien ton affaire ! Et qui t’empêche de la prendre et de la renvoyer à l’aube, demain matin, par ton petit frère ; tu auras ménagé tes pauvres jambes et le propriétaire ne s’en apercevra seulement pas. Là-dessus, comme j’avais une corde en poche, je la lui passe autour de la bouche, et la fais sortir, par une brèche du mur. Il se trouva qu’elle avait un poulain, qui la suivit. Par mon patron ! je ne m’en étais pas aperçu d’abord ; mais, la chose étant faite, je me dis : Tant pis, le petit suivra sa mère, ça lui apprendra les chemins. Pour mon malheur, mon petit frère s’en était allé dans la pastorizia de notre oncle, de sorte que je ne pus renvoyer les bêtes. Comment surent-ils qu’elles étaient dans mon champ, si loin de Nuoro ? Je ne peux pas me l’imaginer ; car j’étais revenu par le crépuscule et n’avais rencontré personne.

Je vois un jour arriver les carabiniers : ils s’étaient mis à quatre pour me conduire en prison. Je veux leur expliquer… Rien : ces gens-là ont la tête si dure ! Ils m’ont laissé là-dedans deux ans ! Croyez-vous ? quand j’avais ma femme et mon petit à nourrir ! et après tout ce temps-là, ils n’ont pas, eu honte encore de me faire un procès ! Les juges, aussi bêtes que les carabiniers ! ça ne veut rien entendre, et mon avocat, un fainéant qui, au lieu de me défendre, disait des choses où l’on ne comprenait rien. Alors ils m’ont condamné à quinze ans de travaux forcés, pas moins.