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trouvais notre situation peu rassurante, quand Effisio dit :

— Mais nous avons le temps de rentrer ; car la nuit ne sera pas plus noire dans une heure que maintenant. Compagnons, nous sommes fatigués ; permettez-nous de nous chauffer les pieds à votre feu. Vous savez que ceux d’entre vous qui se présentent à mon covile y sont bien reçus ?

— Je ne me suis jamais chauffé les pieds à ton covile, dit celui qui semblait le chef ; mais ça ne fait rien ; sois le bien-venu !

La parole de l’hospitalité était prononcée, Effisio parut s’y fier absolument ; car ôtant son fusil de son épaule, il le jeta sur le sol et en vrai Sarde, se couchant tout de son long sur la terre, il chauffa ses pieds au foyer. Je n’avais nullement froid, et il m’en coûtait, en face de ces hommes armés, de me séparer de mon fusil ; aussi me contentai-je de m’asseoir à quelque distance du feu en gardant mon fusil à l’épaule. Les bandits me regardaient en chuchotant et j’entendais ce mot répété :

— Francese ! Francese !

— As-tu encore des cigares ? me demanda Effisio.

Fouillant dans ses poches, il en retira trois ; j’en avais cinq ou six encore. Cela éclaira toutes les figures. Ils prirent les cigares avec une sorte de cordialité joyeuse, et se mirent à fumer. La conversation devint nourrie. D’abord, l’interrogatoire à mon sujet : « Vous êtes de Paris ? Marié ou non ?… Et que venez-vous faire en Sardaigne ?… Que font vos parents ! etc… Puis, entre ces hommes, dont trois étaient de Nuoro, et mon ami, les nouvelles du village s’échangèrent. Moi, qui ne causais point, j’étudiais leurs visages et m’étonnais de n’y trouver, à l’exception d’un seul, aucun air de férocité. Sauf un peu plus de misère et quelque chose de hagard dans les traits, dû à leur triste vie, ces bandits ressemblaient parfaitement à leurs congénères de la vie civilisée, si toutefois une telle