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dans Grazia c’était cette ingénuité même, ces croyances aveugles, mais sincères, cet amour du devoir et du sentiment filial, qui la rendaient capable de sacrifier son bonheur… Plus indépendante, il l’eût crue moins dévouée. Plus éclairée, plus forte, eût-elle été si touchante ? En un mot, ce qu’elle était, — oubliant qu’il venait de l’accuser tout à l’heure — c’était précisément le charme et la perfection de l’être ?

Il déraisonnait un peu, mais ne m’en touchait pas moins, et j’en vins, dans une conversation pleine d’attendrissement, à lui promettre d’insister moi-même près de Grazia pour qu’elle se laissât enlever par nous.

— Dis-lui que je mourrai si elle me refuse !…

Et nous fîmes l’enlèvement : nous passâmes en France ; nous trouvâmes de suite un emploi pour Effisio ; nous vîmes la petite maison, où je venais souvent leur demander à dîner ; la charmante jeune femme, dont les grâces et l’esprit se développaient encore dans un milieu plus civilisé ; le berceau… que sais-je ? Et nous nous embrassâmes en nous jurant une éternelle amitié !

Avions-nous raison, étions nous fous ? Question grave, agitée depuis des siècles et non encore résolue, socialement du moins — ou plutôt socialement résolue contre nous. — Mais les romans et la philosophie en ont toujours appelé des droits de la famille aux droits de l’amour, et si nous étions peu philosophes, nous étions en plein roman d’amour, d’imagination et de jeunesse.

Les heures avaient passé ; nos chevaux, las de brouter le gazon brûlé, où la dent seule des moutons pouvait, en l’arrachant, trouver quelques sucs, se mirent à hennir ; les merles et les geais, babillant autour de nous, semblaient s’ébahir du séjour prolongé de ces deux intrus près de leur fontaine. Levant enfin les yeux, nous fûmes surpris de voir que le soleil avait disparu. Il était plus de sept heures. Nous remontâmes à cheval et reprîmes notre route. Quoi que nous fis-