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ces terres nues et brûlées par le soleil. Pau à peu, le fond du ravin avait semblé monter, et maintenant, entre les lignes des montagnes, brisées sur le ciel, c’était comme un autre plateau, moelleux et sombre, creusé à la manière d’un immense tablier, sous la voûte semée d’étoiles. Une lumière faible et lointaine indiquait la maison blanche, qui occupe le fond du ravin, et çà et là, dans la montagne, quelques grands feux brillaient, feux de pâtre. Le Nurhag, qui domine la route de Bitti, découpait sur le fond pale du ciel son profil énigmatique. Je regardais tout cela depuis longtemps, et j’étais tombé dans une rêverie intense, où les temps se confondaient pour moi dans certaines questions anxieuses, au fond toujours la même : cette destinée humaine, si obscure dans le passé, si obscure dans l’avenir.

Des pas, troublant autour de moi la solitude où je me sentais plongé, m’éveillèrent ; j’entendis le murmure d’une voix qui devait être bien près de oreille à laquelle elle s’adressait. C’étaient des paroles amoureuses sans doute ; mais il s’y mêlait des soupirs. Ceux de l’amour ? ou de la douleur ?

Deux formes humaines m’apparurent presque entrelacées et j’entendis en langue sarde ces mots :

— Laisse-moi te suivre ! Tu es tout pour moi maintenant ! Tu es plus que ma mère et que mon pays.

— Tu ne sais pas la vie que je vais mener, pauvre Raimonda ! pas d’autre lit que la terre, pas de pain souvent ! La faim dans le ventre, et dans l’âme une inquiétude éternelle, la crainte des chiens qui nous traquent. Ah ! les traîtres !… Je voudrais les tuer tous ! Pepeddo y passera le premier ! Race de vautours ! lâche ! cruelle ! M’être laissé tromper ainsi ! Je ne croyais te quitter qu’après t’avoir du moins vengée. Hélas ! Raimonda ! il faut… laisse-moi partir !

— Je ne puis ! non, je ne puis pas ! Je t’ai aimé trop tard ; mais je t’aime, ô Fedele, comme l’agneau la mère qu’il tête, comme