Page:Leo - Grazia.djvu/180

Cette page n’a pas encore été corrigée

blessure par la distraction d’abord, puis par un nouvel amour.

Il me laissait dire, et à peine avais-je fini qu’il me jurait d’aimer Grazia toute la vie, de ne pouvoir aimer qu’elle. On eût dit que les obstacles irritaient plutôt sa passion, qu’à l’origine je n’avais pas cru si vive. Je le voyais quelquefois sortir de sa chambre, où il s’enfermait des heures entières, pale, défait, les yeux cerclés, comme quelqu’un qui a souffert et pleuré. Il écrivait des pages qu’il déchirait ensuite et m’avoua être allé la nuit, grimpant au balcon de Grazia, au risque de se faire tuer par de Ribas, planter, dans la touffe d’œillets qui ornait ce balcon, une lettre où il proposait à Grazia de l’enlever. Ils auraient passé en France, avec mon aide, et là il eût travaillé pour elle. Avait-elle lu cette lettre ? Le lendemain, à force d’errer partout où elle devait passer, il l’avait rencontrée. Comme à l’ordinaire, elle avait détourné la tête ; il l’avait seulement trouvée plus pâle et l’avait vue passer de loin la main sur sa joue comme si elle essuyait des larmes. Il n’espérait plus rien, non rien ! Elle ne l’aimait pas assez pour sacrifier comme lui tout à l’amour. Pour cela, il avait essayé de la haïr, et. ne pouvait toujours que l’aimer davantage. Non, il ne quitterait pas le pays, dût-il en mourir, avant qu’elle fat mariée ! Ce jour-là seulement, si j’avais encore souci de lui,. je pourrais faire de lui ce que je voudrais ; il obéirait, ne voulant pas chagriner mon amitié par des résolutions extrêmes. D’ailleurs, il ne s’engageait à rien ; il savait seulement qu’il ne pouvait vivre sans Grazia et que la voir la femme d’un autre…

Effisio n’en pouvait dire davantage ; il se levait, arpentait comme un fou la maison et le jardin, ou bien fondait en larmes et laissait échapper des gémissements.

André Léo.

(À suivre.)