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Sa voix ne s’éteignit qu’à l’entrée du village, où il me quitta, en me saluant avec froideur.

Je racontai tout cela à Effisio ; il me dit :

— Tu as bien fait ; mais tu ne réussiras pas à ébranler Nieddu. Cela est dans le sang, dans l’atmosphère du pays ; et ce n’est pas une seule voix qui peut balancer une tradition de tant de siècles. Il faut pour cela se trouver seul, comme je l’ai été, devant une civilisation entière ; puis, j’étais désintéressé dans la question, tandis que Nieddu aime Raimonda. Elle a accepté son amour ; il a pris sa haine.


VII.

Quelques jours s’étaient écoulés, quand nous reçûmes la visite d’Effisedda. Elle nous apportait un panier de belles cerises.

— Eh bien, tu ne m’embrasses pas pour me remercier, cousin Effisio ? dit-elle.

Il l’embrassa.

— Et toi ? me dit-elle ensuite, en tournant vers moi ses beaux yeux noirs, pleins d’une hardiesse étrange[1].

Elle m’embarrassait ; je lui dis :

— Un baiser vaut plus que des cerises.

— Ah ! dit-elle ; et ses yeux s’agrandirent encore.

— Mais je puis te le donner, pourtant ; je n’y regarde pas.

Et j’approchais, mes lèvres de son front, quand je la vis rougir et détourner la tête, comme une Galatée. Je n’insistai pas, et elle partit, évidemment piquée, en nous disant :

— Mon père viendra vous parler ce soir.

Nous l’attendîmes ; il vint en effet, très-soucieux.

— J’ai appris, nous dit-il, que mon gendre

  1. En langue sarde, le tutoiement, est habituel, sauf vis-à-vis des gens âgés ou des supérieurs.