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En même temps, il poussa son cheval du pas à l’amble. C’était me prier de me taire, et pourtant je continuai :

— Mais une faute commise par un homme ne donne pas le droit de le tuer. C’est un grand crime que de tuer un homme !

— Vos tribunaux le font bien, répliqua Nieddu ; si c’est juste pour eux, pourquoi ne le serait-ce pas pour nous ? Les juges sont des hommes comme nous, et s’ils ont le droit de mort, nous l’avons aussi. À plus forte raison, quand c’est nous qui sommes les offensés, et qu’eux ils n’ont reçu aucun mal.

Je voulais essayer de lui faire comprendre que c’était là précisément la garantie de l’impartialité et la raison d’être de l’institution judiciaire ; ce qui en faisait, non pas le dernier mot du progrès, du moins un progrès réel sur la vengeance personnelle ; mais il me coupa la parole, en se mettant à chanter sur un rythme doux et sombre, coupé çà et là de sons aigus. Je crus voir qu’il improvisait et je l’écoutai avec attention. Quelques paroles m’échappaient, mais je comprenais le sens parfaitement, il disait :

   Si la femme est l’esclave de l’homme
   Quels sont ces liens si forts,
   Si forts et si doux,
   Qui lient notre cœur ?
   Pourquoi son sourire est-il le soleil
   Qui pénétrant notre sein comme une terre,
   En fait sortir des fleurs
   Et des fruits de joie ?
   Et pourquoi son visage sombre
   Fait-il la nuit en nous ?
   Ô femme ! si l’homme ne pouvait goûter
   La joie d’être ton défenseur,
   Que te rendrait-il pour les biens
   Et les ivresses que tu lui donnes ?
   Le fils de la montagne, le Norésien,
   Honore la femme qu’il aime
   Et il la met au-dessus de toute parole,
   Car on ne rit pas de la mort,
   Car on respecte celle que nul,
   Nul vivant n’a insultée.
   Ô ma bien-aimée ! le miel amer
   De la vengeance est doux à ta lèvre !
   La femme aime celui qui la venge !