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leur, le plus éclairé, de tous les jeunes gens de Nuoro ; que votre goût pour la poésie, la douceur de vos manières et de vos traits, tout dénotait en vous beaucoup d’intelligence et de sentiment, et que vous ne pouviez pas, par conséquent, partager le préjugé de sang qui règne encore dans ce pays ; mais que l’instruction effacera bientôt.

Il sourit encore ; mais avec ironie, et répondit seulement :

— Vous croyez ?

— J’en suis certain. La mort d’un homme ne répare point les fautes qu’il a commises ; c’est un crime de plus, voilà tout. Le sang ne lave pas, il tache.

— Il signor, me dit-il, en accentuant ce mot, de manière à montrer qu’il me traitait en étranger, a trouvé qu’ici les femmes n’étaient pas bien traitées ; il me l’a dit. À présent, il trouve mauvais qu’on les défende ?

— Qu’on les rende libres, répondis-je, elles se défendrent toutes seules. La vraie défense d’un être n’est pas le fer, mais la clairvoyance et le respect de soi.

— C’est bien dit, répliqua-t-il ; mais les femmes n’ont point de clairvoyance contre les belles paroles trompeuses, et quand elles aiment… elles ne savent pas refuser. Il faut donc bien inspirer la crainte aux trompeurs ; sans cela, vous qui prétendez qu’elles soient heureuses, vous n’auriez fait que les rendre misérables, comme e sol des chemins, que tout le monde foule aux pieds.

Vous n’avez donc pas compris, lui dis-je, que si elles sont crédules et faciles, comme vous dites, c’est parce qu’on les tient dans l’esclavage et dans l’ignorance ? L’esclavage tue l’âme. On se défend mal, quand on ne s’appartient pas. Mais un être libre tient à sa dignité et à sa liberté ; elles le rendent exigeant, et capable de choisir.

— Cela se peut, dit-il ; mais puisque les choses sont comme ça, et que, pour le moment, vous n’y pouvez rien, ni moi non plus, il faut bien agir selon ce qui est, en attendant mieux.