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ment des bêtes. Et vous ? vous revenez d’Oliena ?

— Oui, je viens de quitter Antioco Tolugeddu. Vous lui avez fait une grande peur, hier.

Nieddu se mit à rire silencieusement.

J’hésitai un instant ; mais j’éprouvais un tourmentant besoin de protester tout haut contre cet arrêt de meurtre, dont il me semblait par mon silence me rendre complice. L’état de prévision et d’expectative où restait Effisio à l’égard d’un tel événement, qui lui devait profiter, me blessait comme une chose, sinon coupable, au moins fort malsaine. Je n’étais pas d’une race où la fréquence de l’homicide en a émoussé l’horreur, où devant le préjugé d’honneur s’efface tout respect de la vie humaine. Effisio se contentait de dire : Je n’y puis rien ! Moi, précisément parce que je désirais de toute mon âme le bonheur de mon ami et celui de Grazia, et qu’ainsi je me sentais intéressé dans la question, il me semblait que j’étais obligé par cela même à lutter en faveur de la vie de cet homme, notre obstacle, et à repousser le bénéfice de ce crime. J’hésitais, dis-je ; car un tel sentiment n’était pas le seul : au fond, la solution donnée par la mort d’Antioco me paraissait préférable au malheur des deux amants ; au fond, moi aussi, je l’acceptais ce meurtre, et je me disais en outre : dois-je nuire à mon ami, en m’efforçant d’empêcher un acte, qui seul peut le sauver ? Mais la conscience souffrait. Le rire de Nieddu la fit bondir et elle s’exprima :

— Nieddu, ce jeune homme vous fait injure ; il vous croit capable de prendre sa vie par vengeance. Mais je lui ai dit qu’il se trompait.

Il me regarda, plein de surprise. Au fond de son œil, je vis une lueur fauve, quelque chose de ce qui flotte dans la prunelle des félins ; mais je repris :

— Je lui ai dit que vous étiez pour moi le plus sympathique, et certainement le meil-