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pour sauver la vie d’un homme, jusqu’à exposer la sienne propre et celle de plusieurs autres, comme s’il s’agissait de la chose la plus précieuse du monde, — et l’on a raison, — et puis, en d’autres cas, voilà que ça ne compte plus de rien, et que c’est vergogne d’y tenir. On trouve tout naturel qu’un malheureux tombé dans un puits, ou enseveli sous un éboulement, ait l’amour ardent de la vie ; on compatit à ses angoisses ; tout le monde les partage ; on en pleure, on ne parle que de ça, même sur les journaux ; et quand il est sauvé, qu’il se confond en actions de grâces pour ses sauveurs, on trouve cela encore tout naturel, très-touchant, et les gens sanglotent avec lui. Mais que je craigne d’être tué, moi, et que j’en souffre ; il y a des gens que ça fait rire ! Eh bien ! ces gens-là n’ont ni cœur, ni raison, moi, je le dis ! Oui, cela me fait penser à bien des choses… Mais il n’y a qu’à vous que j’en puis parler. Pas même à mon père !… Je sais bien que ça le tourmente ; mais si je lui en parlais, il me reprocherait lui aussi de manquer de cœur. Les choses sont vraiment arrangées d’une drôle de façon ! Et il n’y a pas de quoi s’en vanter, bien que le monde s’imagine avoir de l’esprit.

Pauvre Antioco ! S’il eût appliqué à la situation de Raimonda, séduite et trompée, la clairvoyance que lai inspirait soudainement son propre mal !… Mais il souffrait trop pour que je lui fisse cette observation, et elle eût été sans doute inutile.

— Écoutez, lui dis-je, après un moment de réflexion, je ne vois pour vous qu’un moyen de salut, mais il est certain.

Il releva la tête vivement.

— Allons, dites !

— C’est de quitter le pays. Allez à Cagliari ; faites-y du commerce, tout ce que vous voudrez ; épousez une Cagliaritaine, et ne remettez le pied ici que pour recueillir un jour votre héritage. Encore feriez-vous mieux, si votre ennemi est toujours vivant, d’envoyer une procuration…