Page:Leo - Grazia.djvu/144

Cette page n’a pas encore été corrigée

Antioco resta muet devant cet argument ; je crus l’avoir ébranlé ; mais il reprit :

— Mon père n’y consentirait jamais.

— Préfère-t-il mener vos funérailles ?

— Oh ! ce ne serait pas une raison ; les vieux ont la tête dure. Mon père trouverait que c’est une lâcheté de céder et il ne voudra jamais d’une fille de rien. Mais outre cela, votre idée est impossible, puisque je suis fiancé.

— Grazia vous épouse à contre-cœur ; cela seul, il me semble, devrait vous engager à sacrifier l’amour que vous avez pour elle.

— Eh ! si ce n’était que cela ! dit-il. J’ai été bien amoureux de Grazia ; mais depuis quelque temps, je n’ai plus dans l’idée que des pensées tristes et je ne puis m’empêcher de songer que si elle n’était pas revenue de Sassari, je serais tranquille et joyeux comme auparavant. Je sais que pour elle aussi, elle me rendrait ma parole de bon cœur ; mais à présent, c’est impossible. Vous ne connaissez pas les coutumes de ce pays ; on ne rompt pas des fiançailles, et ce n’est pas la peine de m’ôter Nieddu de dessus les bras pour y mettre de Ribas, qui a lui aussi les vieilles idées.

— Ne pourriez-vous pas tout lui dire et ne comprendrait-il pas ?…

— Lui ! jamais ! je puis bien vous l’assurer. Ce serait pour Grazia comme un déshonneur, et si j’en parlais seulement à de Ribas, il serait capable de me tuer sur le coup.

— Cependant, il n’a pas intérêt… si vous êtes tué, vous n’épouserez pas sa fille.

— Qu’est-ce que ça lui fait ? pourvu que tout soit dans l’ordre ? On peut toujours perdre son fiancé d’un accident, ou d’une maladie ? Mais c’est une honte que de le quitter, ou d’en être abandonnée.

— Triste et singulière situation ! dis-je en rêvant. Ainsi, vous ne pouvez vous délivrer d’un côté, sans être frappé de l’autre !…

André Léo.

(À suivre.)