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ment le cœur d’un artiste. C’était une de mes joies de les voir de ma fenêtre déboucher au haut de la route, soit au galop de leurs petits chevaux, soit à pied, majestueusement revêtus du capotu de laine noire par les plus grandes chaleurs, et offrant de loin la forme de triangles noirs et blancs, perchés sur deux jambes, également noires et blanches. J’aimais à les voir, tantôt couvert de leurs peaux de mouton et tantôt dans l’éclat de leur beau justaucorps bleu et rouge, avec ces manches ouvertes, ces flots de linge blanc — ou qui eût pu l’être broderies et boutons d’argent, ces larges caleçons blancs, sous la jupe noire, et le ceinturon damasquiné, tout ce costume d’antiques seigneurs. J’aimais à voir les petits pages de cour jouer dans la rue, se lancer des pierres, ou grimper sur les chevaux. J’aimais à voir les belles filles avec leur justaucorps rouge, et leur corset de brocart, au ruban rouge ou bleu, étaler leur belle gorge sous la chemisette blanche et marcher fièrement, la cruche ou la corbeille sur la tête, les pieds nus fouettés par la jupe au large ruban. Le soir, quand. tout ce monde, accroupi sur les seuils, ou dans la rue, prenait le frais, et surtout devant les groupes d’hommes revêtus du capotu, assis ou couchés par terre, dans les carrefours, il me semblait être en pleine tribu arabe.

Bien d’autres costumes se donnaient rendez-vous à Nuoro. Celui d’Oliena encore plus pittoresque, celui de Bitti où la jupe des femmes est aux deux tiers de velours, où le corset est plus riche encore ; celui d’Orgo-solos, sombre et sévère, petite casaque de laine noire couvrant la moitié de la taille, au-dessus d’une casaque rouge ; celui de Mamoïada, et tant d’autres ; car chaque village, comme en France avant la Révolution, a son costume particulier.

André Léo.

(À suivre)