Page:Leo - Grazia.djvu/131

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ah, signor ! me disait un brigadier, quel pays ! Tous ladri ou malfattori. On aimerait mieux faire la guerre. Ces gens-là s’entendent contre tous nous. Et jusqu’aux autorités des communes, oui signor, qui protègent leurs vauriens et nous sont hostiles, nous qui risquons notre peau tous les jours au service du bon ordre et de la propriété. La propriété ! Ces gens-là n’en ont aucun respect, et quant à la vie d’un homme ils n’y regardent pas plus qu’à celle d’un poulet. Dernièrement, à la suite d’un bal, un des nôtres a été presque assommé ; naturellement, nous avons mis les agresseurs en prison. Eh bien, croiriez-vous, signor, que les juges, des Sardes ! parbleu ! les ont acquittés ? Nous sommes ici en pays ennemi. Ah !… ce n’est pas comme ça en France, n’est-ce pas ?

Je me familiarisais de plus en plus avec la langue sarde, qui est entièrement de la famille des idiomes latins et je finis par pouvoir quelque peu causer dans leur langue avec les gens du pays. À voir leurs visages doux et bienveillants, l’empressement avec lequel ils me disaient bonjour et à l’occasion me rendaient de petits services, mon imagination se refusait à croire ces gens-là capables d’accomplir froidement un assassinat longuement prémédité, ou qu’ils fussent de ces bandits, particuliers à la Sicile et à la Sardaigne, qu’on pourrait appeler bandits en chambre, allant la nuit, masqués, faire un coup de main et rentrant ensuite chez eux paisiblement. Certainement, les gens de Nuoro à cet égard étaient à part du reste du pays ! Ceux des environs également, ces braves pasteurs qui nous apportaient le lait ! Ceux même de Lallove, qu’on désignait comme un nid de grassatori[1]et qui pourtant en plein jour m’avaient si bien accueilli ! Ces populations, d’ailleurs, avaient des types, des attitudes, à conquérir invincible-

  1. Bandits attaquant la nuit à main armée une proie désignée : maison riche, diligence, voyageur chargé d’argent.