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échangions un salut sans nous parler. Je n’osais point l’aborder, et elle semblait m’éviter. Une fois même, elle tourna la tête, en feignant de ne pas m’avoir aperçu et je compris qu’elle cherchait à étouffer son cœur, et à remplir ce qu’elle croyait son devoir.

Pour Antioco Tolugheddu, il n’était plus le même. Son épanouissement naïf et vantard, ce contentement de soi, qui brillait sur sa figure, avait fait place à un air sombre et défiant. On le voyait quelquefois, tout à coup, regarder derrière lui d’un air effaré. Quand il était à Nuoro, il ne sortait jamais de la ville et toujours une escorte de deux ou trois amis l’accompagnait sur le chemin de Nuoro à Oliena. Lui qui, auparavant, ne portait presque jamais d’armes, de peur sans doute de gâter le velours de ses habits, il avait, pris un fusil pour cause de défense personnelle, ainsi que le porte le permis délivré à tout Sarde qui en fait la demande, contre le prix de sept francs. — Beaucoup même le portent sans cela. — Il avait, outre ce fusil, la dague passée à la ceinture, et d’une de ses poches sortait la crosse d’un revolver. Souvent, il logeait chez de Ribas, et y restait deux ou trois jours, pour ne pas multiplier les voyages sur le chemin d’Oliena, où les gorges sont fréquentes et l’embuscade facile.

C’était au café seulement qu’on le voyait retrouver un peu son ancienne faconde, rire et plaisanter ; mais d’un rire bruyant et excessif, comme celui d’un homme dont les nerfs sont surexcités. Il maigrissait, et ses compagnons le raillaient quelquefois, avec la cruauté que peuvent comporter de telles mœurs.

— Tu aimes trop ta fiancée, Antioco ; l’amour te rend blême. Quel pauvre galant tu fais ! Quoi, tu as pour promise la plus belle. fille du pays, et tu prends la mine d’un fiancé de la mort !

Antioco se fâchait de ces plaisanteries et elles le rendaient plus inquiet encore. Au fond, tout le monde savait plus ou moins de quoi il s’agissait ; on savait pourquoi Rai-