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surtout causait émerveillement, une montre avec une chaine d’or ! Il y en avait, assurait-on, pour mille scudi (5, 000 fr.)

— Est-elle heureuse ! disaient les jeunes filles à l’envi, pendant que la pauvre Grazia pleurait.

À partir de ce jour, Grazia était devenue comme l’épouse d’Antioco Tolugheddu. Le lien qui les unissait, consacré par la famille, était aussi sacré que le lien légal ou religieux. Ils n’avaient ni l’un ni l’autre le droit moral de le rompre ; ils étaient liés pour la vie. Désormais, Antioco pouvait entrer à toute heure chez de Ribas, comme un membre de la famille, y manger, y dormir et traiter Grazia avec une familiarité, décente sans doute, mais qui n’avait de bornes que la pudeur de la jeune fille et sa volonté. De Ribas eût trouvé de nuit son futur gendre dans la chambre de sa fille, qu’il n’y eût pas eu matière à sanglants reproches. On eût pressé le mariage, voilà tout. Comme ces fiançailles durent plusieurs années, surtout chez les gens pauvres, qui ont peine à se procurer les meubles et le trousseau, il est rare qu’au jour du mariage l’épouse soit vierge ; il n’est pas rare qu’elle offre les signes d’une maternité avancée. Mais on ne voit pas de mal à cela ; ils étaient époux d’avance.

La chose va si loin, que dans les cantons plus au nord, à Tempio, par exemple, dit-on, le fiancé est mis immédiatement en possession de ses droits d’époux, et le mariage quelquefois n’a lieu qu’après la naissance de plusieurs enfants.

Quant à Grazia de Ribas et Antioco Tolugheddu, jamais le dicton que : richesse n’est pas contentement, ne montra mieux sa réalité sur deux visages. Grazia était l’image vivante de la mélancolie. Plusieurs fois, je la rencontrai sur le chemin de la fontaine : elle marchait silencieuse et morne, à côté de ses compagnes riantes et babillardes, et à ma vue elle pâlissait, baissait les yeux ; souvent une larme roulait sur sa joue. Nous